21 août 2018 Articles de fond
Cet article rédigé par l'équipe de Oui dans ma cour ! a initialement été publié dans la Revue québécoise d'urbanisme, vol. 38 - no 2 - mai 2018. Il est reproduit ici avec autorisation.
Pourquoi et où agir dans les banlieues?
La banlieue réfère aux quartiers situés en périphérie d’une ville ou d’un village, et dont les résidents doivent effectuer des déplacements quotidiens vers une centralité de l’agglomération ou de la région, généralement pour aller travailler, étudier ou effectuer des achats. Compte tenu des grandes distances qui séparent généralement les habitations des activités qui s’y trouvent, la banlieue induit un mode de vie dépendant de l’automobile duquel il est difficile de s’affranchir. La multiplication et la juxtaposition des banlieues sur le territoire conduit à un étalement urbain que les collectivités peinent de plus en plus à justifier et à soutenir, surtout lorsqu’elles doivent également protéger les terres agricoles, préserver la biodiversité, lutter contre les changements climatiques, et favoriser l’adoption de saines habitudes de vie.
Dans un tel contexte, il devient de plus en plus logique d’opter pour un mode de croissance alternatif : celui de la reconstruction des milieux déjà urbanisés sur eux-mêmes. Certaines banlieues présentent alors des potentialités particulièrement intéressantes pour les municipalités et attrayantes pour les futurs résidents. C’est notamment le cas des banlieues d’après-guerre, souvent situées à proximité d’un noyau urbain plus dense, et déjà desservies par le transport collectif. Leur consolidation apparaît profitable notamment parce que leurs infrastructures vieillissantes devront être remplacées à court ou moyen terme, et que leur population, elle aussi vieillissante, a besoin d’une offre renouvelée de types d’habitations [1]. Les investissements effectués dans ces secteurs offrent de ce fait l’occasion de répondre à de multiples autres besoins de la collectivité.
Mais encore faut-il que ces transformations soient souhaitées par les résidents déjà établis dans ces milieux. Pour bien comprendre les besoins, préoccupations et aspirations des résidents des banlieues, et en venir à ce qu’ils adhèrent à la transformation de leur milieu de vie, il est impératif de leur accorder un rôle clé dans la planification de leur municipalité et des projets envisagés dans leur voisinage.
L’acceptabilité sociale : une démarche qui prend notamment appui sur le caractère du milieu
Plutôt processus qu’état ou résultat , l’acceptabilité sociale [2] suppose une sensibilisation des différents acteurs à leur réalité respective. Face à un projet de transformation d’un milieu de vie, plusieurs éléments doivent être soumis à l’attention des parties prenantes, afin que le débat puisse s’effectuer sur des bases solides et comprises de tous :
- les objectifs poursuivis par la municipalité en matière de développement immobilier et d’investissements publics prévus;
- les besoins, les aspirations, et les préoccupations de ceux qui ont choisi d’habiter, de fréquenter ou de travailler dans le quartier;
- les impératifs des développeurs immobiliers liés au marché, à leurs capacités et à la rentabilité; etc.
Les enjeux possibles sont multiples, mais diffèrent généralement d’un endroit à l’autre, tout comme leur importance. Un des enjeux récurrents associés à la transformation des banlieues est celui du caractère du milieu, c’est-à-dire les éléments fondamentaux qui forment l’image du quartier et qui lui confèrent son ambiance particulière.
Généralement, les résidents d’un milieu de vie l’ont choisi pour ses nombreux attraits (p. ex. sa végétation abondante, la proximité d’un parc, sa quiétude, etc.), ou parce qu’ils ont eux-mêmes vécu leur enfance dans un milieu similaire et que cela influence leurs préférences [3]. Cet attachement est couplé à des aspirations individuelles concernant le devenir de leur secteur : par exemple, avoir accès à un autobus plus fréquent pour se déplacer, à un café au coin de la rue, etc.
En raison des mêmes attraits et potentialités, de nouveaux résidents peuvent vouloir s’établir dans le quartier, et être invités à le faire par la municipalité, notamment afin de rentabiliser les investissements qu’elle compte y effectuer. La transformation et la densification semblent alors inévitables. Conséquemment, les résidents déjà en place peuvent craindre de perdre certains de leurs acquis (quiétude, lumière, sécurité, paysage urbain, etc.) au détriment de leur qualité de vie. Fondées ou non, ces appréhensions peuvent créer des conflits et freiner la mise en oeuvre d’un projet.
Or, la consolidation de la banlieue peut se réaliser en évitant ces écueils si sa planification s’appuie sur un portrait complet, connu et partagé de l’ensemble des intervenants, notamment en ce qui a trait au caractère du lieu : types bâtis (implantation, gabarit, volumétrie), styles architecturaux, couvert végétal, caractéristiques du réseau viaire, etc. Lorsqu’il est compris et pris en compte, le caractère du milieu peut conduire à l’identification de formes de densification plus adaptées au secteur.
Mais concrètement, quelles formes bâties peuvent contribuer à transformer les banlieues en respectant leur caractère?
Comment transformer les banlieues?
Densifier un secteur d’apparence homogène comme la banlieue demande à ce que les nouvelles formes bâties soient adaptées au milieu. Celles-ci peuvent être invisibles ou discrètes, tandis que d’autres seront incontestablement visibles et mériteront d’importants efforts pour assurer leur intégration. Aucune solution unique n’existe : chaque collectivité doit fixer les balises de ce qui est acceptable ou non dans les différents milieux de vie qui la composent.
La densification invisible ou discrète
La densification douce d’un milieu peut se réaliser notamment par subdivision d’un bâtiment principal (logement accessoire), par conversion d’une construction attenante, ou par ajout d’un nouveau bâtiment détaché (mini-maisons, logement au-dessus d’un garage, etc.) sur un lot déjà occupé par une résidence principale. Historiquement présentes dans les secteurs urbains denses, ces unités d’habitation accessoires (UHA) se sont répandues dans l’informalité, avant d’être à nouveau envisagées et encouragées par la législation ces dernières années, par exemple en Ontario et en Colombie-Britannique, pour répondre à la pénurie de plus en plus grande de logements abordables [4].
Pour densifier un quartier sans le dénaturer, l’intérêt de ce genre de consolidation est indéniable : de l’extérieur, il peut être presque impossible de distinguer la subdivision d’un bâtiment existant ou la conversion d’un bâtiment en cour arrière. Même pour les changements plus visibles, l’ajout d’un étage à un bâtiment existant paraît moins radical que la destruction d’un bâtiment pour le remplacer par un autre. Cette dernière forme d’intervention peut néanmoins être envisageable, surtout si elle respecte le caractère du lieu.
Des remplacements ou implantations de bâtiments respectueux du milieu d’accueil
Bien qu’il soit plus écologique de transformer un bâtiment existant, l’ampleur et les coûts de certains travaux nécessaires à la modification d’une maison peuvent conduire ses propriétaires à décider de la remplacer. Lorsque l’emprise au sol et le gabarit du nouveau bâtiment sont supérieurs à l’ancien, l’intégration au milieu d’accueil peut être compromise, du moins aux yeux des voisins.
Exemple d'un triplex dont la volumétrie respecte le caractère du milieu - Kitsilano, Vancouver. Source : Vivre en Ville
Cependant, ces projets de densification plus visibles peuvent également être respectueux du secteur dans lequel ils s’implantent. Il est possible d’en garantir l’échelle humaine en jouant sur différentes composantes : par exemple, une implantation qui exploite davantage la profondeur de la parcelle, des hauteurs croissantes sur les différentes parties d’un bâtiment ou d’un bâtiment à l’autre, etc. Ainsi, un triplex ou un quadruplex remplaçant un bungalow peut présenter plusieurs caractéristiques en façade qui lui permettent de s’agencer aux immeubles unifamiliaux construits précédemment sur la rue.
Remplacement d’une résidence par un bâtiment abritant plus d’un logement. Boulevard Pie-XII (Sainte-Foy), Québec. Sources : Google Streetview (avant) et Vivre en Ville (après).
Néanmoins, il peut être requis de construire des bâtiments d’une forme qui diffère significativement de celles qu’on trouve dans l’environnement immédiat. Pour ce faire, l’espace public devient un levier structurant pour l’attractivité de ces projets et c’est pourquoi une attention particulière doit lui être accordée en matière de planification et de mise en œuvre [5]. Cette densification plus marquée peut être souhaitée dans les cas où le terrain à bâtir est localisé sur une artère au potentiel commercial et à la desserte en transport collectif appréciables ou encore lorsque l’augmentation du nombre d’étages sur le site permet de sauver des arbres qui auraient autrement dû être sacrifiés.
Résidence pour personnes âgées ayant fait l’objet de différentes modifications quant à son implantation et sa volumétrie pour faciliter son intégration et son acceptabilité sociale au centre-ville - Manoir Saint-Bruno, Saint-Bruno-de-Montarville. Source : Vivre en Ville
Autrement dit, certains secteurs stratégiques, propices à la densification, présentent un plus grand potentiel de consolidation que d’autres secteurs qui, en contrepartie, pourraient être préservés de telles interventions pour n’accueillir que des transformations plus discrètes.
Une transformation qui doit aller au-delà de la densification résidentielle
La densité n’a pas de valeur en soi : elle présente des avantages lorsque jumelée à des équipements et des services de proximité [6]. L’ajout de logements dans des milieux établis permettra de récolter un maximum de bénéfices s’il est couplé à des améliorations manifestes des services, équipements et espaces publics. Inversement, ces améliorations ne seront possibles ou rentabilisées que grâce à l’accueil de nouveaux arrivants. Par exemple, l’apparition de commerces et services de proximité attrayants à l’échelle du quartier et la bonification de la desserte en transport collectif concourront à atténuer des impacts découlant de la venue de nouveaux résidents et à l’enrichissement de la qualité de vie, notamment en diminuant les distances à parcourir et la dépendance à l’automobile.
Cette diversification des services doit cependant être planifiée méticuleusement : on ne cherchera pas nécessairement à créer de nouveaux pôles d’activités, en remplacement de ceux qui existent déjà. Au contraire, les centralités existantes doivent continuer de structurer le secteur en transformation, notamment en restant des destinations clés regroupant les emplois, ainsi que certains commerces et services spécialisés ou de grande envergure. Dans le cas de ces transformations également, il est essentiel de se doter d’un processus qui permet à la collectivité de les comprendre et de les accueillir.
Consolider pour améliorer la qualité de vie : oui, dans ma banlieue!
Un tissu urbain plus compact et une proximité d’activités et de services sont possibles en banlieue sans que ne soit perdu le caractère particulier de ces milieux. Le processus d’acceptabilité sociale et les avantages de la consolidation sont des éléments à mettre de l’avant pour que la transformation envisagée soit réussie, c’est-à-dire attendue, souhaitée et accueillie.
Certaines exemples nécessitent, pour être appliqués, que la réglementation en vigueur dans certaines municipalités évolue en prenant en compte le contexte propre des secteurs concernés. Dans cette optique, les municipalités sont aujourd’hui appelées à consulter en amont les différents acteurs susceptibles d’être affectés par ces modifications. Cet aspect n’est pas sans défi : il peut être difficile de savoir si les conditions favorables au dialogue et au partage des connaissances des acteurs sur le terrain sont réunies. Oui dans ma cour!, une nouvelle initiative de Vivre en Ville, a justement pour objectif d’encourager la réalisation de projets de qualité respectant ces milieux établis et de donner le goût aux citoyens de s’approprier leurs transformations. En s’assurant, dès les premières étapes, que le développement immobilier se déroule dans le respect des meilleures pratiques, cette initiative permettra de bonifier les réflexions proposées ici.
[1] Vivre en Ville (2016). Croître sans s’étaler : où et comment reconstruire la ville sur elle-même, 123 p. (coll. Outiller le Québec ; 7) [vivreenville.org].
[2] Bergeron et al. (2015). « Mesurer l’acceptabilité sociale d’un projet minier : essai de modélisation du risque social en contexte québécois ». [VertigO] La revue électronique en sciences de l'environnement, 15(3).
[3] Fortin, Andrée et Caroles Després (2011). « Le rôle des habitus résidentiels dans la localisation périurbaine » dans Andrée Fortin, Carole Després et Geneviève Vachon (dirs) La banlieue s’étale, Québec, Éditions Nota bene, 412 p.
[4] Arpent (2018). Les unités d’habitation accessoires (UHA) au Québec. Mise en contexte et définitions. [PDF]
[5] Vivre en Ville et Écobâtiment (2017). Réussir l’habitat dense : dix clés pour des habitations compactes, attrayantes et performantes, 132 p. (coll. Outiller le Québec ; 9) [vivreenville.org].
[6] Charmes, Eric (2002). « Densifier les banlieues », études foncières n˚99, [PDF]